
Un simple logo sur une veste ou le dernier modèle de téléphone posé sur un bureau : à première vue, ces détails paraissent anodins. Pourtant, dans les couloirs de première, ils dessinent déjà des lignes de partage. Des frontières muettes qui tracent, sans bruit, la carte des appartenances et des exclusions. La confiance, les amitiés, parfois même la réussite scolaire s’y jouent, bien avant l’épreuve du bac.
L’inégalité sociale ne se contente pas de hanter les bulletins de notes. Elle flotte dans l’air des salles de classe, façonne les ambitions, inhibe la parole, imprime sa marque sur les trajectoires. Pour saisir comment elle s’insinue et ce qu’elle provoque, il faut accepter d’en regarder les rouages. C’est déjà une première étape pour la défier.
Plan de l'article
La sociologie ausculte la question des inégalités sociales depuis des décennies : comment les ressources, les droits et les perspectives s’organisent-ils dans la société ? La notion de classe sociale, d’abord posée par Max Weber et revisitée par Pierre Bourdieu, reste une clé pour comprendre la France contemporaine. Différences de revenus, écarts de patrimoine, accès inégal à la santé : l’inégalité sociale se manifeste de mille façons, chaque jour.
Les données publiées par l’Insee sont sans appel. En 2018, 10 % des ménages détenaient à eux seuls près de la moitié de la richesse nationale. Un gouffre qui ne cesse de s’élargir. Thomas Piketty l’a martelé : la croissance économique n’a pas effacé les disparités de revenus, elle les a souvent creusées. Même l’espérance de vie s’en ressent, évoluant fortement selon le statut social, ajoutant une injustice supplémentaire à la liste.
Pour rendre ces mécanismes tangibles, quelques constats s’imposent :
- Les enfants issus de milieux favorisés disposent d’un bagage culturel et financier qui leur ouvre les filières d’élite et facilite l’accès à des emplois valorisés.
- Comme l’a montré Bourdieu, l’école ne résorbe pas ces écarts ; elle les prolonge, parfois les aggrave.
La justice sociale bouscule la légitimité de ces écarts et remet en question la promesse de l’égalité des chances. Études de l’Insee et analyses des sociologues convergent : la mobilité sociale reste largement entravée, notamment pour ceux issus des classes populaires.
Au lycée, la stratification sociale demeure bien visible. Dès la première, elle se traduit par des différences de réussite. Les chiffres du ministère de l’éducation nationale parlent d’eux-mêmes : la maîtrise des compétences fondamentales reste fortement liée à l’origine sociale. Qu’il s’agisse des rapports Pisa, de Louis Maurin ou de Christian Baudelot, tous relèvent une surreprésentation des enfants de cadres et de professions intermédiaires dans les filières générales, tandis que les enfants d’ouvriers ou d’employés s’orientent surtout vers les filières technologiques ou professionnelles.
Quelques éléments tirés des études récentes permettent d’y voir plus clair :
- Dans les séries générales, environ 70 % des élèves ont au moins un parent cadre ou exerçant une profession intermédiaire.
- En parallèle, la majorité des enfants d’ouvriers et d’employés se retrouvent dans des filières moins reconnues socialement.
Ce décalage s’explique. Les moyens financiers, le capital culturel ou le réseau familial pèsent lourdement sur les trajectoires. La familiarité avec les codes de l’école, le recours possible à des cours particuliers, le choix d’options rares : tous ces atouts dessinent un parcours sur-mesure pour certains, tandis que d’autres avancent sans filet. Roger Establet a rappelé qu’aucune bonne volonté ne suffit à effacer des inégalités aussi ancrées. L’école, loin de niveler les différences, tend souvent à les prolonger.
Les dispositifs d’aide, nécessaires, ne font pas tout. D’après Pisa, la France reste l’un des pays de l’OCDE où le poids de l’origine sociale sur la réussite scolaire demeure le plus élevé. Les inégalités sociales à l’école tiennent bon.
Des pistes pour réduire l’impact des inégalités sur le parcours scolaire
Pour contrer la persistance des inégalités scolaires, plusieurs leviers sont à disposition. Des chercheurs français s’y intéressent, tout comme diverses initiatives venues du Royaume-Uni ou des pays nordiques.
Voici quelques orientations concrètes mises en avant par les experts :
- Mettre en place un soutien scolaire dès le plus jeune âge, afin de limiter l’écart qui se creuse très tôt, comme le souligne la Revue française de sociologie.
- Favoriser une réelle mixité sociale dans les établissements pour empêcher la concentration des difficultés dans certains lycées.
L’accompagnement individualisé montre également des effets positifs. Pierre Rosanvallon insiste sur l’intérêt d’un suivi pédagogique renforcé, en particulier dans les quartiers défavorisés. À Paris, Bordeaux ou Lille, des programmes pilotes ont permis à des groupes de lycéens suivis par un professeur référent de progresser plus rapidement, de gagner en assurance et de s’exprimer davantage. Les écarts de niveau se réduisent, tout simplement.
| Dispositif | Effet sur les inégalités |
|---|---|
| Dédoublement des classes en primaire | Baisse des écarts de niveau |
| Allocation de moyens selon l’indice social | Meilleure réussite dans les zones prioritaires |
L’école, cependant, ne peut pas tout porter seule. Si la justice sociale ne se construit pas aussi en dehors des salles de classe, les politiques d’équité risquent de rester à l’état de rustines. Oxfam et l’Insee rappellent qu’il faut agir sur les écarts de revenus et de patrimoine pour bâtir une véritable égalité des chances.
Dans la réalité du lycée, l’inégalité sociale ne s’évapore pas d’un simple geste. Mais chaque expérience, chaque pas vers plus de mixité ou d’accompagnement, repousse un peu les limites du possible. Reste ce point aveugle : combien d’élèves verront leur horizon se rétrécir, uniquement parce que le tirage au sort de la naissance n’était pas en leur faveur ?


























































